"Supplément au voyage de bougainville" , Diderot
II. Les Adieux du vieillard
C’est un vieillard qui parle ; il était père d’une famille nombreuse. À l’arrivée des Européens, il laissa tomber des regards de dédain sur eux, sans marquer ni étonnement, ni frayeur, ni curiosité. Ils l’abordèrent, il leur tourna le dos et se retira dans sa cabane. Son silence et son souci ne décelaient que trop sa pensée : il gémissait en lui-même sur les beaux jours de son pays éclipsés. Au départ de Bougainville, lorsque les habitants accouraient en foule sur le rivage, s’attachaient à ses vêtements, serraient ses camarades entre leurs bras et pleuraient, ce vieillard s’avança d’un air sévère et dit :
« Pleurez, malheureux Otaïtiens, pleurez, mais que ce soit de l’arrivée et non du départ de ces hommes ambitieux et méchants. Un jour vous les connaîtrez mieux. Un jour ils reviendront avec le morceau de bois que vous voyez attaché à la ceinture de celui-ci dans une main, et le fer qui pend au côté de celui-là dans l’autre, vous enchaîner, vous égorger ou vous assujettir à leurs extravagances et à leurs vices. Un jour vous servirez sous eux, aussi corrompus, aussi vils, aussi malheureux qu’eux. Mais je me console, je touche à la fin de ma carrière et la calamité que je vous annonce, je ne la verrai point. Ô Otaïtiens, ô mes amis, vous auriez un moyen d’échapper à un funeste avenir, mais j’aimerais mieux mourir que de vous en donner le conseil. Qu’ils s’éloignent et qu’ils vivent. »
Puis s’adressant à Bougainville, il ajouta :
« Et toi, chef des brigands qui t’obéissent, écarte promptement ton vaisseau de notre rive. Nous sommes innocents, nous sommes heureux, et tu ne peux que nuire à notre bonheur. Nous suivons le pur instinct de la nature, et tu as tenté d’effacer de nos âmes son caractère. Ici tout est à tous, et tu nous as prêché je ne sais quelle distinction du tien et du mien. Nos filles et nos femmes nous sont communes, tu as partagé ce privilège avec nous, et tu es venu allumer en elles des fureurs inconnues. Elles sont devenues folles dans tes bras, tu es devenu féroce entre les leurs ; elles ont commencé à se haïr ; vous vous êtes égorgés pour elles, et elles nous sont revenues teintes de votre sang. Nous sommes libres, et voilà que tu as enfoui dans notre terre le titre de notre futur esclavage. Tu n’es ni un dieu ni un démon, qui es-tu donc pour faire des esclaves ? Orou, toi qui entends la langue de ces hommes-là, dis-nous à tous, comme tu me l’as dit à moi-même, ce qu’ils ont écrit sur cette lame de métal : Ce pays est à nous. Ce pays est à toi ! et pourquoi ? Parce que tu y as mis le pied ! Si un Otaïtien débarquait un jour sur vos côtes et qu’il gravât sur une de vos pierres ou sur l’écorce d’un de vos arbres : Ce pays est aux habitants d’Otaïti, qu’en penserais-tu ? Tu es le plus fort – et qu’est-ce que cela fait ? Lorsqu’on t’a enlevé une des méprisables bagatelles, dont ton bâtiment est rempli, tu t’es récrié, tu t’es vengé, et dans le même instant tu as projeté au fond de ton cœur le vol de toute une contrée ! Tu n’es pas esclave, tu souffrirais plutôt la mort que de l’être, et tu veux nous asservir ! Tu crois donc que l’Otaïtien ne sait pas défendre sa liberté et mourir ? Celui dont tu veux t’emparer comme de la brute, l’Otaïtien est ton frère ; vous êtes deux enfants de la nature ; quel droit as-tu sur lui qu’il n’ait pas sur toi ? Tu es venu, nous sommes-nous jetés sur ta personne ? Avons-nous pillé ton vaisseau ? T’avons-nous saisi et exposé aux flèches de nos ennemis ? T’avons-nous associé dans nos champs au travail de nos animaux ? Nous avons respecté notre image en toi. Laisse-nous nos mœurs, elles sont plus sages et plus honnêtes que les tiennes. Nous ne voulons point troquer ce que tu appelles notre ignorance contre tes inutiles lumières.
Introduction :
Denis Diderot, philosophe et écrivain français, le maître d'œuvre de l'Encyclopédie et l'un des principaux représentants de l'esprit des lumières.
Diderot est un auteur aux talents multiples. Toujours audacieuse, son œuvre touche à tous les genres et se développe dans différents domaines: la science, la philosophie et l'esthétique. Surtout admiré en son temps comme directeur de l'Encyclopédie. il est aujourd'hui considéré comme l'un des écrivains les plus novateurs du siècle des lumières. Il en incarne l'esprit par son matérialisme athée, par sa volonté de dénoncer les préjugés et par sa confiance en la raison .(Il dénonce les errements de la religion , défend les droits de l'homme )
Dialogue entre Bougainville , colonisateur pour Louis XVI opposé au vieillard tahitien qui s'insurge contre la colonisation . L'auteur veut faire réfléchir ses lecteurs en les dépaysant ce qui permet de critiquer la monarchie tout en évitant la censure en jouant sur la distance entre le vieillard et le roi . Nous étudieron d'abors les caractéristiques de Tahiti puis la dénonciation par l'auteur des défauts de l'europe.
Commentaire :
I) Les caractéristiques de Tahiti
Il y a une opposition totale entre deux types de société : Tahiti représente la société primitive , exotique , l'anarchie heureuse , la libération de tous les instincts et a l'inverse , Bougainville représente la volonté de puissance , d'enxtension des monarchies européennes . Diderot utilise un décor et un personnage exotique , comme Montesquieu evec la perse , Beaumarchais avec l'espagne et Voltaire avec l'Eldorado . Le vieillard utilise un vocabulaire hostile et péjoratif contre l'explorateur et défend le "pur instinct de la nature". Il s'agir d'une société sans loi , de plaisirs individuels ou collectifs dans laquelle chacun agit selon sa volonté tout en respectant la nature. Le bien être est gratuit , il n'y a aucune obligation. L'inactivité est la norme , les habitants ne travaillent que pour se nourrir , ils ne cherchent ni le progrès ni l'enrichissement. C'est une utopie , un lieu imaginaire qui déclenche un réflexion politique à la recherche d'un monde meilleur . Le viellard est libre , noble , il est aussi la conscience des tahitiens et le porte parole de l'auteur , c'est un pere de famille nombreuse , pacifiste quand il repousse bougainville et veut mettre le maximum de distance entre lui et les colonisateurs afin de ne pas leur ressembler. Son portrait est contrasté (il gémit , il est sévere , il est altruiste , généreux, ...). Il exorte les Tahitiens a refuser la colonisation et se détache des réalités matérielles. Il est agé , expérimenté et l'auteur lui donne un role de prophete(il annonce une calamité).
II) La dénonciation des défauts de l'Europe
L'auteur conteste la propriété privée , il en fait un défaut et un danger, le vieillard se contente de vivre dans une cabane alors que les explorateurs sont venus dans un "batiment". Il dénonce la recherche de puissance et d'erichissement matérielle. Les morceaux de bois et de fer symbolisent la croix de l'église et les épées. Il énumere les défauts de la société avancée (extravagance , corruption ,malheur...) qui sont les conséquences de la cupidité. Selon les tahitiens la science et le progrès finissent par provoquer le malheur et la guerre , il font donc l'éloge de l'ignorance qui favorise la pais et le bonheur. Il y a aussi les femmes : on passe de la polygamie à la jalousie , les tahitiens ont cédé a de nouveaux défauts(vocabulaire violent). L'auteur refuse la violence , il propose un message universel "vous etes les enfants de la nature".
Conclusion :
Nous avons d'abord étudié les caractéristiques de Tahiti et les sentiments du vieillard. Cette société est primitive et chacun y agit selon sa vvolonté tout en respectant la nature , c'est une utopie. Elle permet a Diderot de critiquer la monarchie, le viellard totalement opposé a la guerre(il est explicite contrairement a candide ou les critiques sont implicites). Il ne veut pas se battre pour ne pas ressembler a son adversaire. Il est le porte parole des tahitiens et a une vision universelle de la fraternité , il joue le role de prophete et est philosophe grace a son expérience. Nous avons ensuite étudié la dénonciation des défauts de l'Europe, qui est trop ataché aux bien matériels et a la propriété selon Diderot et devrait se rapprocher de la nature a l'exemple des tahitiens: ils vivent simplement et sont heureux alors que les colonisateurs ont besoin de choses superficielles pour montrer leur supériorité. Pour le vieillard le malheur et la corruption sont la conséquence de la cupidité; la propriété est source de conflicts . Ces défauts constatés entre les hommes se retrouvent entre les états d'ou les guerres.